Après le succès d'un livre aussi particulier que Mon Frère , qui abordait la perte tragique de son jeune frère, Tripp se penche désormais sur la relation complexe et délicate qu'il entretenait avec son père. Le résultat est une œuvre d'une maturité émotionnelle impressionnante, où tendresse, douleur et quête de sens s'entremêlent dans un récit qui, bien que fragmenté, nous entraîne dans une expérience captivante. L'histoire commence par une enfance marquée par un amour profond et exclusif : Jean-Louis, enfant, vécut comme enfant unique les premières années, vivant un âge d'or sous l'affection et l'attention de son père. Ils jouaient ensemble et partageaient des moments tendres en tête-à-tête. Cependant, avec la naissance de ses frères et sœurs et la dégradation du mariage de ses parents, cette phase idyllique laissa place à un éloignement progressif. Le livre cherche, telle une catharsis, à comprendre comment ce lien initial s'est érodé. Et il n'y eut pas de désaccords ni de tensions majeurs. À ce stade, leur relation était semblable à toutes les relations père-fils, avec ses bons et ses mauvais moments. Et le divorce des parents de l'auteur, bien que jamais heureux, n'a peut-être pas non plus été responsable de l'accroissement de cette aliénation mutuelle. Alors, de quoi s'agissait-il ? Tripp propose une approche intimiste, mêlant des souvenirs apparemment disparates qui, ensemble, forment une trame émotionnelle solide et sincère. Le récit de cette œuvre est composé d'épisodes, tantôt longs et marquants, tantôt brefs et subtils, qui nous transportent à travers différentes époques et lieux, comme les vacances familiales en Allemagne de l'Est et en Roumanie, reflets de l'idéologie et de l'activisme politique de son père, un enseignant fièrement communiste. Ces moments, loin d'être de simples curiosités historiques, révèlent le contexte idéologique et émotionnel dans lequel s'est déroulée l'enfance de l'auteur. L'album peut parfois paraître trop fragmenté, avec une succession de souvenirs sans ordre particulier.

À cet égard, il s'éloigne sensiblement de Mon Frère , un récit plus direct entièrement centré sur la mort tragique du frère de Tripp et les conséquences de ce moment fatidique. Dans Un Père , on découvre rapidement un moment marquant, comme une violente dispute entre père et mère, puis un moment plus banal, celui des vacances en famille des protagonistes. Et, il me semble, c'est précisément dans cette structure apparemment lâche et quelque peu décousue que se reflètent nos propres souvenirs et notre affection. Tout comme nous nous souvenons de nos proches par flashs et sensations isolées, Tripp nous raconte aussi son histoire. Le fil conducteur est donc émotionnel plutôt que chronologique. La lecture peut parfois sembler hasardeuse, mais une fois que le lecteur se laisse porter par ce flot, il est inévitable d'être touché par la profondeur des révélations. Si certains aspects de l'intrigue peuvent paraître instables, le livre prend de l'ampleur – la somme de ses parties, voilà – à mesure qu'il avance vers la fin, l'émotion qui en résulte s'intensifiant. La distance entre le père et le fils, d'abord subtile, se transforme en une douleur sourde qui prend peu à peu forme. Le crescendo émotionnel entraîne le lecteur vers la douleur de l'éloignement, si fréquente dans tant de relations familiales. La force du récit réside dans la capacité de Tripp à s'abstenir de tout jugement, à éviter de tomber dans un ressentiment facile, mais plutôt à chercher à comprendre et à accepter l'imperfection humaine qui imprégnait cette relation. On y ressent un réel sentiment de tentative de surmonter les souffrances du passé. Visuellement, Un Père conserve le style graphique caractéristique de l'auteur, avec une palette sépia évoquant le passé et l'utilisation de la couleur uniquement au présent ou dans un moment plus marquant et stylisé du passé. C'est un procédé symbolique efficace, soulignant la distance entre les souvenirs et la réalité actuelle. L'art de Tripp demeure un point fort, servant avec sensibilité le caractère intime du récit. Les expressions, les silences, les regards… tout est traité avec une grande émotion.